Avec mes compagnons d’infortune, je vivais cloitré dans l’obscurité́. Dans cette pénombre absolue, mes illusions avaient tourné à la désillusion. Nous étions entassés les uns contre les autres dans cette prison privée d’âme et d’humanité. Amertume. J’imaginais que j’allais finir ma vie dans cette cage ténébreuse. Déprimé. Opprimé. Nous étions comprimés, ce qui nous laissait guère d’intimité pour vous dire la vérité. Nous provenions tous d’horizons divers mais quelque part, nous nous ressemblions.
Les jours passaient et rien ne se passait. La routine. Seuls quelques tours quotidiens dans cette prison permettaient de rompre avec l’immobilisme ambiant. Ces brefs instants de fuite virtuelle me redonnaient un soupçon d’espoir. Je rêvais d’évasion mais je ne pouvais rien faire. Rien. Nous étions trop bien gardés par des sentinelles invisibles. Contraints d’adopter une ligne de conduite assez stricte. Parfois j’avais la sensation que ma route était toute tracée. À force d’errer, de tourner en rond, j’avais failli mal tourner. Heureusement, quand je dérapais, mes compagnons de galère me remettaient sur le droit chemin.
Entre nous, à voix basse, nous parlions souvent de notre passé et de comment nous en étions arrivés là. Chacun de nous avait une histoire différente mais au fond du cœur, le même désespoir nous hantait. L’air de rien, nous étions proches, solides et solidaires. Unis et uniformes. Je ne peux pas dire que nous étions maltraités, mais dans cette obscurité incessante, oppressante, nous avions quasiment perdu la conscience de la vie.
Pourtant, notre vie bascula un bel après-midi d’été́. À la radio, ils l’avaient promis : « l’été sera beau, l’été sera chaud ». Mais pour nous, été rimait seulement avec contrariété et anxiété. Bien entendu, nous n’étions pas équipés en air climatisé et la chaleur étouffante rendait encore plus insupportable notre cohabitation forcée. De nombreuses querelles éclatèrent et une pression impressionnante régnait. Nous avions atteint un indicible paroxysme quand l’incroyable se produisit.
Un tout petit rayon de soleil venait de transpercer le mur d’une cellule. Sous l’emprise de la surprise, tout le monde resta bouche bée et ouvrit grand ses yeux. Nous n’étions plus habitués à la lumière, et au début, nous fûmes éblouis et aveuglés par cet éclat. D’autant que ce filet de lumière s’intensifia brusquement et devint un halo merveilleux.
L’un de nous eut alors une idée folle. « Vous allez dire que je ne manque pas d’air mais ce n’est pas le moment de se dégonfler ! » D’un pas décidé́, il se dirigea vers la source de lumière. Et là, ô surprise, il traversa le mur et se volatilisa. Il avait retrouvé la liberté. Tout à coup, ce fut l’émeute dans la prison. Nous nous empressâmes d’emboiter le pas de notre sauveur providentiel. Une extraordinaire course s’amorça. Une fuite.
Soudain, je me sentis comme aspiré vers l’extérieur et le ciel m’enveloppa dans ses grands bras maternels. Le vent me caressait délicatement. J’étais libre. Enfin libre ! Libre comme l’air ! Pourquoi ? Comment ? Peu m’importait à cet instant. Cette évasion, je n’y croyais même plus et cette intervention divine me permettait de savourer à nouveau le goût unique de la liberté́. Je me délectais de ces flots de lumière qui me chatouillaient et semblaient me porter. Je reprenais progressivement l’habitude de ces grands espaces s’offrant à moi. Un vent de fraicheur. J’avais soif d’infini et je voulais partir à la découverte du monde. Un monde sans frontière. Profiter de chaque seconde. J’avais besoin de m’aérer l’esprit.
Pourtant, avant de pouvoir tourner la page, j’avais besoin de savoir ce qui s’était produit. Tout en poursuivant ma fuite effrénée, je me retournai en jetant un coup d’œil furtif en direction de notre geôle. Elle me semblait déjà loin. Sur un nuage, je flottais. Un sourire fleurit sur mon visage lorsque je compris l’origine de notre épopée.
Le long de la route, j’aperçus un homme, une femme et leurs deux enfants. Ils contemplaient avec dépit leur véhicule immobilisé au bord de l’autoroute, sur la voie de secours. Immobilisé à cause d’un pneu crevé. J’étais triste pour eux mais tellement heureux pour nous. Leur pneu, c’était un peu notre roue de la fortune. Une nouvelle ère. J’étais triste pour eux mais rien de tel que de retrouver l’air pur. Surtout pour une belle petite molécule d’oxygène comme moi !
Julien Léon
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